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évêque de Chartres, qui, sous couleur de l’emprisonner, le logea dans une claire maison au milieu d’un beau jardin. Il y fit doucement son carême et fut relâché sans bruit à Pâques. C’est alors que, par reconnaissance et la beauté de Marguerite aidant, il eut de vives saillies d’admiration pour la perle des princesses. Il la déclara sa dame et maîtresse.

Ma maîtresse est de si haute valeur,
Qu’elle a le corps droict, beau, chaste et pudique ;
Son cueur constant n’est pour heur ou malheur
Jamais trop gay ne trop mélancolique.
Elle a au chef un esprit angelique,
Le plus subtil qui onc aux cieulx vola.
O grand merveille ! on peult veoir par cela
Que je suis serf d’un monstre fort estrange :
Monstre je dy, car pour tout vray elle a
Corps féminin, cueur d’homme et teste d’ange[1].

Il servait sa dame en tout bien et tout honneur, et cela lui fit le sujet d’un joli rondeau :

Sans rien blasmer, je sers une maistresse
Qui toute femme ayant noble hautesse
Passe en vertus, et qui porte le nom
D’une fleur belle, et en royal surnom
Démonstre bien son antique noblesse.

En chasteté elle excède Lucresse :
De vif esprit, de constance et sagesse,
C’en est l’enseigne et le droict gouffanon,
Sans rien blasmer.

  1. Ces vers font songer à ceux que La Fontaine fit pour Mme de la Sablière, dont l’esprit, dit le Fablier,

    A beauté d’homme avec grâce de femme.

    Cela est d’un goût achevé. Marot n’est pas si délicat.