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Un humble ministre, dans un temple de village, les unirait pour le bien comme pour le mal, sans leur demander d’où ils venaient. Mais Prévost, fort songeur, se disait qu’après avoir prononcé des vœux à Saint-Germain-des-Prés et reçu l’ordre de la prêtrise à Évreux épouser une protestante à la Haye serait le fait d’un mécréant. Il fit part de ses scrupules à la demoiselle, ajoutant que s’il l’épousait il se fermerait irrévocablement l’entrée de la France, qui était son pays, qu’il aimait et où il comptait bien mourir. Elle lui répondit : « Vous avez raison. Mais je vous aime et je ne vous quitterai pas. » Et, comme il partait pour l’Angleterre, elle l’y suivit.

Il laissait quelques dettes à la Haye. Il les avait contractées, non pour pourvoir à ses besoins qui n’étaient pas grands, mais pour secourir des compatriotes malheureux. Il n’avait pas manqué d’en connaître en Hollande. Il leur donna ce qu’il avait et plus qu’il n’avait. On le lui reprocha dans les gazettes.

Prévost, débarqué en Angleterre, se sentit dans le pays qui lui convenait. Laborieux comme il était, il trouva à s’employer chez un peuple laborieux. Il était propre à tout emploi : il fut d’abord gouverneur d’un jeune homme de qualité. L’Angleterre lui plut. C’est la patrie des imaginations sombres. Là, des prairies sous un ciel brumeux. La mélancolie flotte avec les vapeurs du matin sur l’herbe épaisse, sur l’herbe des cimetières où le pasteur Hervey promène sa tristesse, où le jeune Thomas Gray crayonne ses élégies. Prévost mène dans ces paysages les songes d’une âme affectueuse et triste, qui ne peut se lasser, mais qui se