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crier et ajouta un volume presque entier à la collection, un de ces in-folio d’impression compacte comme on n’en faisait pas tous les ans, même chez les bénédictins. On ne dit pas que ce tome vaille plus ou moins que les autres. La Gallia Christiana est un fort savant livre.

Prévost se reposait d’écrire du latin en écrivant du français. Il faisait un roman dans sa cellule, ou plutôt vingt romans. Car les Mémoires d’un homme de qualité contiennent assez d’aventures pour remplir vingt romans ayant chacun un commencement et une fin. L’infatigable Prévost ne sentait pas alors qu’il est nécessaire qu’un livre finisse. Il semait dans le sien les louanges les plus hautes de la morale et de la religion ; mais il y accumulait les peintures profanes et y poussait par intervalles de terribles cris de passion. Le goût du monde lui revenait. Ce n’était donc pas assez, pour tuer le vieil homme, de l’avoir enseveli dans la poussière d’une bibliothèque monacale.


Vaines précautions ! cruelle destinée !


comme dit Racine, le poète préféré de l’abbé Prévost. Il s’était fait moine par désespoir ; le désespoir était parti et le froc lui restait.

Sous ces impressions, il écrivit à un de ses frères une lettre où il dit :

« Je connois la faiblesse de mon cœur, et je sens de quelle importance il est pour son repos de ne point m’appliquer à des sciences stériles, qui le laisseraient dans la sécheresse et dans la langueur ; il faut, si je