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Prévost était chrétien, et, bien que son Cleveland ait passé pour une apologie de la religion naturelle, bien qu’on l’ait accusé de s’être fait protestant en Hollande, je ne crois pas qu’il ait eu en réalité une heure de doute dans sa vie. Ah ! s’il croyait ! sa foi était pleine et d’autant plus solide que la réflexion ne l’avait jamais ébranlée. Avec beaucoup d’imagination, il était le moins réfléchi, le moins philosophe des hommes. Il croyait aux sacrements, aux mystères, aux miracles, à l’enfer ; il croyait tout ce qu’on lui disait ; il était persuadé que les songes contiennent des avertissements du Ciel, il ne doutait pas de la vertu d’un pansement secret qui consistait, entre autres pratiques, à réciter le second verset de l’hymne Vexilla Régis en faisant trois signes de croix aux trois mots mucrone diro lanceœ ; il estimait qu’une certaine poudre peut disposer les yeux de manière à ce qu’ils voient un ours là où il y a un homme ; il était certain qu’on arrête les chevaux avec la cendre d’un foie de loup, enfin il adorait les histoires de revenants et n’en trouvait pas d’assez extraordinaire.

Son carême prêché, il passa aux Blancs-Manteaux de Paris, où il prêcha derechef et fort bien, dit-on. De là, il entra à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, qui était le chef-lieu de l’ordre et où l’on réunissait les moines les plus savants. On l’y employa à rédiger la Gallia Christiana, vaste compilation d’histoire ecclésiastique commencée en 1715 et parvenue alors à son quatrième tome. Il se mit à la besogne avec cette ardeur qu’il dépensait en toute occasion, compulsa, compila, rédigea, usa sa plume jusqu’aux barbes, tarit son en-