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commençait à se défaire quand vint dom Prévost. Si pieux qu’il fût, le nouveau docteur n’était point de force à résister aux entraînements du siècle. Mais peu importe ce qu’il enseigna, dans une abbaye en ruines, à quelques tonsurés. Du Bec, il se rendit au collège de Saint-Germer, où il professa les humanités. Sans doute il mit dans son enseignement cette politesse et cette décence qu’on trouve dans tout ce qu’il écrivit depuis. Les gens d’Évreux, ayant besoin de prédicateur, en demandèrent un aux bénédictins, qui donnèrent dom Prévost. Celui-ci prêcha le carême dans l’église cathédrale. Il parla des voluptés du monde et des faiblesses de la chair en homme qui s’y connaissait, et les dames d’Évreux prirent plaisir à entendre un moine de si bonne mine parler si bien du péché.

C’est ainsi que, pendant la sainte quarantaine, dom Prévost vit du haut de sa chaire tant d’yeux bleus ou noirs, tous attendris, tous humides, se tourner vers lui sous des boucles poudrées, des dentelles, des fontanges. Ce spectacle promettait à un moine fait comme lui plus d’un de ces rêves auxquels on dit que les plus pieux solitaires sont sujets. Il eut dans sa cellule sa part de ces rêves-là. Des images voluptueuses et terribles le hantaient, et plus tard il ne put s’empêcher de raconter ces cauchemars dans ses romans. Jeune, robuste, portant sur l’oreiller monacal le souvenir encore chaud des nuits de Hollande, comment n’eût-il pas vu défiler sur sa couche tout le cortège de la tentation de saint Antoine ?

Les visions impures, c’est, de tout temps, en tout lieu, la terreur du bon moine. Il prie pour les con-