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Il avait quinze ans quand il quitta Paris, emportant toute son innocence, et se rendit à la Flèche pour faire son noviciat, avec l’agrément de son père. Il était de flamme pour le Gésu. Il y a de ces natures ardentes : elles brûlent sans cesse ; mais leur feu change d’aliment. Au bout de six mois, le jeune néophyte partit sans demander son congé et reparut devant son père surpris. La petite ville d’Hesdin ne lui donna probablement pas tout ce qu’il attendait de la vie et des femmes. M. le procureur le traita assez sévèrement, on parla même de démêlés fort vifs qu’ils eurent ensemble. Enfin, à seize ans, il était dégoûté du monde et frappait de nouveau à la porte des jésuites. Ceux de la Flèche ne voulurent pas le recevoir : ils désespéraient de le garder, ou plutôt, le sachant obstiné, ils voulaient affermir sa vocation en y opposant quelques difficultés. Il s’entêta en effet, résolut d’aller demander l’ordre au général et partit bravement pour Rome, tout seul et bien jeune pour un si grand voyage. Il n’était pas encore hors de France qu’il tomba malade. Sa bourse était plate, messieurs les aubergistes l’ayant vidée sans peine. Par l’obligeance d’un officier, il entra à l’hôpital, où, fortifié de quelques bouillons, il redevint bientôt alerte et vaillant. L’officier, le voyant tel, jugea qu’il serait dommage qu’un si beau garçon ne servît pas la patrie. On sait comment les sergents raccoleurs recrutaient alors les hommes pour l’armée. Ils les faisaient boire à la santé du roi, les coiffaient du chapeau du régiment, et leur apprenaient ensuite qu’ils étaient soldats et ne manqueraient pas, s’ils vivaient, de devenir un jour ser-