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l’application. Il y a 6 ou 7 ans que la Ribou lui a avancé cent pistoles sur son quatrième volume de Gil Blas qui n’est pas encore fini et ne le sera pas de si-tôt. »

Non, il n’était plus le maître de donner à ses ouvrages de l’application et du temps. Il publia en 1734 l’histoire d’Estevanille Gonzalès ; l’année suivante, Une journée des Parques ; en 1736, le Bachelier de Salamanque. Il vidait son sac et il était bien près, le pauvre grand homme, d’en trouver le fond. En 1740, dans la Valise trouvée, il reprit les malheureuses Lettres d’Aristénète qu’il avait traduites, étant jeune, avec tant d’inexpérience. Enfin il fut réduit, en 1743, à éditer un recueil de bons mots (Mélange amusant de saillies d’esprit). Pourtant il avait la réputation méritée d’un grand écrivain, et tous ceux qui le connaissaient l’aimaient, car il était aussi bon qu’intelligent. Sa conversation était si agréable que, lorsqu’il était assis dans son café favori de la rue Saint-Jacques, les assistants faisaient le cercle autour de lui. Quelques-uns montaient sur les chaises, sur les tables. Cependant il restait pauvre. Il n’avait pu doter sa fille, qui ne s’était pas mariée et devait mourir à l’hôpital. De ses trois fils, le cadet seul lui faisait honneur. Il était chanoine. Les deux autres étaient comédiens, il ne les voyait plus. Le plus jeune, Pitténec, jouait pitoyablement dans les foires. L’aîné du moins, Montménil, faisait bien son métier. Il s’était fait applaudir à la Comédie-Française, dans les rôles de valets et de paysans. Il fit preuve d’un caractère estimable et se rapprocha de son père. Peu de temps après cette réconciliation, il mourut subitement