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mât la pension de Boileau en même temps que la sienne. Il dit à cet ami en l’embrassant : « Je regarde comme un bonheur pour moi de mourir avant vous. » Il pria Rollin de veiller sur l’éducation de son fils Louis. Les médecins, qui n’avaient pas été prompts à reconnaître la nature du mal, résolurent d’ouvrir l’abcès. Quand le fils aîné du mourant lui dit qu’on le sauverait par une opération : « Dieu est le maître, répondit Racine, mais je puis vous assurer que, s’il me donnait le choix ou de la vie ou de la mort, je ne sais ce que je choisirais ; les frais de ma mort sont faits. » L’opération ne réussit pas, soit qu’elle fût tentée trop tard, soit que la nature de l’abcès la rendît inutile. Un prêtre de Saint-André-des-Arcs donna à Racine les derniers sacrements ; les saintes huiles touchèrent les yeux, la bouche, les mains et les pieds de celui qui avait aimé et senti tant de belles et de douces choses dans la vie, qui avait eu l’orgueil d’un poète et les faiblesses d’une nature délicate. Il expira dans son logis de la rue des Marais, le 21 avril 1699, entre trois et quatre heures du matin. Il était âgé de cinquante-neuf ans et quatre mois.

Racine avait demandé à être inhumé dans le cimetière de Port-Royal-des-Champs, au pied de la tombe de M. Hamon. Le cercueil fut mis au-dessus de celui de M. Hamon ; il n’y avait pas de place au-dessous. Après la violation des tombes de Port-Royal en 1709, les restes de Jean Racine, arrachés à leur terre d’élection, furent transportés dans l’église Saint-Étienne-du-Mont, où ils reposent encore, entre ceux de M. de Sacy et de M. Antoine Lemaistre.