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correspondance avec l’évêque de Meaux, Briçonnet[1], et s’abandonna, sous l’influence de ce subtil directeur, aux rêveries bizarres d’un mysticisme quintessencié. C’est pour le coup qu’on peut dire avec Rabelais qu’elle eut l’ « esprit abstraict, ravi et exstatic[2] ». Elle filait la parfaite théologie ; les fils des toiles d’araignée et les fils-de-la-Vierge sont des câbles au prix du fil mystique qu’elle tournait sur le rouet spirituel qu’elle tenait de Briçonnet. Les plus robustes esprits ont souvent de ces élans vers le subtil et l’inconnaissable[3].

Mais la doctrine de Briçonnet, à n’en prendre que le fonds, était le retour aux Écritures et la réformation de l’Église. Briçonnet pensait, comme le vieux Le-febvre d"Etaples, que l’Evangile « n’étoit pas prêché purement, sans mélange de traditions humaines ». Marguerite fut donc avancée par ce directeur dans le chemin de l’hérésie, qu’ils ne suivirent ni l’un ni l’autre jusqu’au bout.

Elle gagna le roi son frère au parti des réformés de la première heure, heure douce, claire et sereine. Mais Luther brûla la bulle, et la tempête se leva (if2o). Le temps des sages comme Érasme, des bons comme Marguerite, était passé. Elle gardait pourtant l’espoir. En décembre if2i, elle écrivait à Briçonnet :

  1. De 1521 à 1524. Bibliothèque nationale, mm, ff., 337.
  2. Rabelais, Dédicace du Tiers Livre.
  3. Balzac, plus gras conteur à ses heures que ne fut jamais notre princesse, est mystique et incompréhensible dans son Lambert et sa Séraphita, comme Marguerite dans les Lettres à Briçonnet.