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s’assemblaient deux ou trois fois la semaine dans le logis de Despréaux, rue du Colombier. On se réunissait pareillement avec Chapelle, Furetière et quelques gens de cour au cabaret du Mouton Blanc, sur la place du cimetière Saint-Jean, à la Pomme de Pin, dans la rue de la Licorne, et à la Croix de Lorraine. On y raillait bien des choses et jusqu’à la perruque de Chapelain.

Ce beau temps dura peu. Racine avait donné son Alexandre au théâtre de Molière, mais les comédiens du Palais-Royal ne jouèrent pas la pièce au gré de l’auteur : il la porta, sans les avertir, à la troupe de l’hôtel de Bourgogne, qui l’apprit à la hâte, et on vit à Paris deux Alexandre à la fois. Molière avait lieu d’être mécontent ; il le fut. Le jeune auteur n’avait pu supporter que ses chères créations fussent trahies et sa gloire de poète obscurcie. Le don de ressentir vivement toutes sortes d’impressions donne de l’inconstance et une sorte de perfidie aux natures les plus tendres et les plus exquises. C’est une grande vérité que les commerces les plus délicats ne sont pas les plus sûrs. Racine enleva à Molière M"° du Parc ; c’est ce qui acheva de les brouiller. M11" du Parc était une comédienne du Palais-Royal, que Molière, dit-on, avait aimée sans lui plaire ; elle était belle et avait trente ans. Racine, qui entretenait avec elle un commerce de galanterie, la fit engager à l’hôtel de Bourgogne, où elle joua le rôle d’Andromaque. Elle mourut en couches peu après. La Voisin accusa Racine de l’avoir empoisonnée. On le vit suivre en pleurant le convoi de la comédienne. Ces larmes font songer à cette parole touchante que La Fontaine, dans