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Nicole,, qui fut un de ses maîtres, était bon. Les solitaires avaient dès lors une beauté de plus : ils étaient malheureux. Ils souffraient la persécution ; leurs écoles étaient dispersées. Les trois années passées dans le saint Désert mirent dans l’âme de Racine une sorte de goût janséniste qui prévalut au déclin de sa vie.

L’écolier de M. Lemaistre se promenait aux heures de récréation dans les bois de l’abbaye, avec Sophocle et Euripide qu’il savait par cœur. Il fit des stances sur les prairies, les bois, l’étang du monastère. Une éducation pieuse et solitaire a des charmes singuliers pour les jeunes âmes ardentes qu’elle n’étouffe pas. Le cloître donne aux esprits trop larges ou trop fuyants pour s’y renfermer tout entiers une étrange maladie qui n’est pas sans délices : le mal des chimères, le don dangereux de mêler à la vie des rêves, des, fantômes, de belles images et de s’abîmer dans leur néant aimé. Quand M. de Saint-Cyran disait, dans la maison où tout appuyait ses paroles, que Virgile s’était damné pour avoir écrit ses beaux vers, il devait, aux yeux d’un écolier sensible, répandre sur l’ombre de Didon un charme mélancolique et délicieux. La religion offre aux âmes voluptueuses une volupté de plus : la volupté de se perdre.

On raconte que la jeune imagination de Racine se troubla, dans le silence des salles d’étude et dans la paix des chapelles, aux paroles d’amour du roman de Théagène et Ckariclée. Les poètes voient flotter en eux de belles images bien avant le temps où ils savent les exprimer.