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souffre avant de mourir ! Cependant je sens bien que je finis[1]. »


Sa femme et Baron, vivement touchés, le supplièrent de ne pas jouer et de prendre quelque repos, « Comment voulez-vous que je fasse ? leur répondit-il. Il y a cinquante pauvres ouvriers qui n’ont que leur journée pour vivre : que feront-ils si l’on ne joue pas ? Je me reprocherois d’avoir négligé de leur donner du pain un seul jour, le pouvant faire absolument. »

Ce jour-là Molière joua son rôle avec beaucoup de difficulté. En prononçant Juro dans la Cérémonie, il eut un spasme. Au sortir de la scène, il prit sa robe de chambre, fut dans la loge de Baron et lui demanda ce que l’on pensait de la pièce. Baron lui fit compliment sur le succès de tous ses ouvrages et, voyant sa mine, lui dit qu’il semblait plus mal que tantôt. « Cela est vrai, lui répondit Molière. J’ai un froid qui me tue. » Baron lui toucha les mains et, les trouvant glacées, les mit dans son manchon pour les réchauffer. Car alors c’était la mode que les hommes eussent des manchons. Baron envoya chercher des porteurs pour porter le malade et accompagna la chaise du Palais-Royal à la rue Richelieu, où logeait Molière.

Quand il fut dans sa chambre, Baron voulut lui faire prendre du bouillon, dont M1’" Molière avait toujours provision pour elle, prenant grand soin de sa personne. Molière refusa : « Les bouillons de ma femme,



  1. Grimarest, pp. 284 et 285.