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charma plus tard son frère François ; elle lisait Dante ; elle respirait cette fleur de courtoisie qui parfume le purgatoire et l’enfer du Florentin. La voyez-vous penchée sur le vélin enluminé du livre et s’oubliant à suivre, dans la cité dolente, les ombres enlacées de Paolo et de Francesca ? Elle lit :

. . . Nessun maggior dolore
Che ricordarsi del tempo felice
Nella miseria. . . [1].

Et elle garde empreints dans sa mémoire ces vers dont elle éprouvera un jour l’amère vérité.

Mais elle était, au témoignage de tous ceux qui l’approchèrent, doucement enjouée, bienveillante, amie des gais propos et encline au rire, qui ne messeyait pas à sa robuste beauté. Elle était belle, mais belle à grands traits, avec ces nobles lignes de visage et cette longueur de nez qu’avait aussi son frère[2].


  1. « Il n’est plus grande douleur que se recorder du temps heureux dans la misère. »
  2. Les portraits qu’on a d’elle nous la montrent comme je dis ; François Ier lui ressemblait beaucoup. Le crayon qui la représente aux environs de la cinquantaine, coiffée de la cape béarnaise, avec un épagneul sur les genoux, est très ferme et accuse bien les traits ; c’est un ouvrage dans la manière des Clouet. On y trouve le caractère de la tête, non le charme. Le charme, ou ce qui pour nous autres est le charme, ne comptait pas pour les peintres de cette école. Mais que Marguerite en eût, ce n’est pas douteux. Bonnivet, Marot, le connétable de Bourbon et tant d’autres sont meilleurs juges que nous à cet endroit. Il y a dans le jardin du Luxembourg, lieu illustre, une jolie statue de la sœur de François Ier. Je n’en parle que parce que tous ceux qui me liront l’ont vue. J’en sais qui ont écrit des vers sur le piédestal. Mais cette figure ne rappelle en rien notre grande et bonne Marguerite. Avec son petit nez au vent, c’est tout au plus Margot, la Margot de Henri IV, et encore une Margot rêvée par Alexandre Dumas.