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Là, par Héraclius, nous ouvrons un théâtre
Où je crois tout charmer et tout rendre idolâtre.
Mais, hélas ! qui l’eût cru ? Par un contraire effet,
Loin que tout fut charmé, tout fut mal satisfait ;
Et par ce coup d’essai, que je croyois de maître,
Je me vis en état de n’oser plus paraître.
Je prends cœur toutefois, et d’un air glorieux
J’affiche, je harangue, et fais tout de mon mieux.
Mais inutilement je tentai la fortune.
Après Héraclius, on siffle Rodogune.
Cinna le fut de même, et le Cid, tout charmant,
Reçut, avec Pompée, un pareil traitement.
Dans ce sensible affront, ne sachant où m’en prendre,
Je me vis mille fois, sur le point de me pendre.
Mais, d’un coup d étourdi que causa mon transport,
Où je devois périr, je rencontrai le port :
Je veux dire qu’au lieu des pièces de Corneille
Je jouai l’Étourdi, qui fut une merveille ;
Car à peine on m’eut vu, la hallebarde au poing,
A peine on eut oui mon plaisant baragouin,
Vu mon habit, ma toque, et ma barbe, et ma fraise,
Que tous les spectateurs furent transportés d’aise[1]

Ce méchant est bien obligé de convenir que l’Étourdi fut écouté avec plaisir et que Molière y fut applaudi comme auteur et comme acteur.

En 1659, à Pâques, la troupe, en visite chez le maréchal de la Mailleraye, au château de Chilly, donna le Dépit amoureux devant le roi, Monsieur, les nièces de Mazarin et les filles d’honneur de la reine. Le roi se plut à cette représentation, puisque le 10 mai Molière jouait l’Étourdi au Louvre[2].

  1. L’Élomire hypocondre, sc. 11 du Divorce comique, pp. 78, 80.
  2. Registre, p. 5.