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vous avez envoyé une bûche quand elle accouchait il y a de cela onze ans. Je l’ai bien reconnue.

— C’est, demandai-je vivement, c’est, dites-vous, madame Coccoz ? la veuve du marchand d’almanachs ?

— C’est elle, monsieur ; la portière était ouverte pendant que son petit garçon, qui venait de je ne sais où entrait dans la voiture. Elle n’a guère changé. Pourquoi ces femmes-là vieilliraient-elles ? elles ne se donnent point de souci. La Coccoz est seulement un peu plus grasse que par le passé. Une femme qu’on a reçue ici par charité, venir étaler ses velours et ses diamants dans une voiture armoriée ! N’est-ce pas une honte ?

— Thérèse, m’écriai-je d’une voix terrible, si vous me parlez de cette dame autrement qu’avec une profonde vénération, nous sommes brouillés ensemble. Apportez ici mes vases de Sèvres pour y mettre ces violettes qui donnent à la cité des livres une grâce qu’elle n’avait jamais eue.

Pendant que Thérèse cherchait en soupirant les vases de Sèvres, je contemplais ces belles violettes éparses, dont l’odeur répandait autour de moi comme le parfum d’une âme charmante, et je me demandais comment je n’avais pas reconnu ma-