Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/89

Cette page a été validée par deux contributeurs.

des souhaits affectueux, ils sortiront de terre. Car tout ce qui m’aimait est depuis longtemps enseveli. Je ne sais trop ce que je fais en ce monde. On sonne encore. Je quitte mon feu lentement, le dos rond, et je vais ouvrir ma porte. Que vois-je sur le palier ? Ce n’est pas l’Amour mouillé, et je ne suis pas le vieil Anacréon, mais c’est un joli petit garçon de dix ans. Il est seul ; il lève la tête pour me voir. Ses joues rougissent, mais son petit nez éventé vous a un air fripon. Il a des plumes à son chapeau et une grande fraise de dentelles sur sa blouse. Le joli petit bonhomme ! Il tient à deux bras un paquet aussi gros que lui et me demande si je suis M. Sylvestre Bonnard. Je lui dis qu’oui ; il me remet le paquet, dit que c’est de la part de sa maman et s’enfuit dans l’escalier.

Je descends quelques marches, je me penche sur la rampe et je vois le petit chapeau tournoyer dans la spirale de l’escalier comme une plume au vent. Bonjour, mon petit garçon ! J’aurais été bien aise de lui parler. Mais que lui aurais-je demandé ? Il n’est pas délicat de questionner les enfants. D’ailleurs le paquet m’instruira mieux que le messager.