Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/87

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Six mille cinq cents, répliqua M. Polizzi avec calme.

Je baissai la tête et restai la bouche pendante, n’osant dire ni oui ni non au crieur qui me criait :

— Six mille cinq cents, par moi ; ce n’est pas par vous à droite, c’est par moi ! pas d’erreur ! Six mille cinq cents !

— C’est bien vu ! reprit le commissaire-priseur. Six mille cinq cents. C’est bien vu, bien entendu… Le mot ?… Il n’y a pas d’acquéreur au-dessus de six mille cinq cents francs.

Un silence solennel régnait dans la salle. Tout à coup, je sentis mon crâne se fendre. C’était le marteau de l’officier ministériel qui, frappant un coup sec sur l’estrade, adjugeait irrévocablement le numéro 42 à M. Polizzi. Aussitôt la plume du clerc, courant sur le papier timbré, enregistra ce grand fait en une ligne.

J’étais accablé et j’éprouvais un immense besoin de solitude et de repos. Toutefois je ne quittai pas ma place. Peu à peu la réflexion me revint. L’espoir est tenace. J’eus un espoir. Je pensai que le nouvel acquéreur de la Légende dorée pouvait être un bibliophile intelligent et libéral qui me