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mons. Ce désordre apparent qui cachait des dispositions savantes, ce faux hasard avec lequel les objets étaient jetés sous leur jour le plus favorable aurait accru ma défiance, mais celle que m’inspirait le nom seul de Polizzi ne pouvait croître, étant sans limites.

M. Rafaël, qui était là comme l’âme unique de toutes ces formes disparates et confuses, me parut un jeune homme flegmatique, une espèce d’Anglais. Il ne montrait à aucun degré les facultés transcendantes que son père déployait dans la mimique et la déclamation.

Je lui dis ce qui m’amenait ; il ouvrit une armoire et en tira un manuscrit, qu’il posa sur une table, où je pus l’examiner à loisir.

Je n’éprouvai de ma vie une émotion semblable si j’excepte quelques mois de ma jeunesse dont le souvenir, dussé-je vivre cent ans, restera jusqu’à ma dernière heure aussi frais dans mon âme que le premier jour.

C’était bien le manuscrit décrit par le bibliothécaire de sir Thomas Raleigh ; c’était bien le manuscrit du clerc Alexandre que je voyais, que je touchais ! L’œuvre de Voragine y était sensiblement écourtée, mais cela m’importait peu. Les