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demandai à Thérèse ma canne et mon chapeau, qu’elle me donna avec défiance : elle redoutait un nouveau départ. Mais je la rassurai en l’invitant à tenir le dîner prêt pour six heures.

C’était déjà pour moi un sensible plaisir que d’aller le nez au vent par ces rues de Paris dont j’aime avec piété tous les pavés et toutes les pierres. Mais j’avais un but, et j’allai droit rue Laffitte. Je ne tardai pas à y apercevoir la boutique de Rafaël Polizzi. Elle se faisait remarquer par un grand nombre de tableaux anciens qui, bien que signés de noms diversement illustres, présentaient toutefois entre eux un certain air de famille qui eût donné l’idée de la touchante fraternité des génies, si elle n’avait pas attesté plutôt les artifices du pinceau de M. Polizzi père. Enrichie de ces chefs-d’œuvre suspects, la boutique était égayée par de menus objets de curiosité, poignards, buires, hanaps, figulines, gaudrons de cuivre et plats hispano-arabes à reflets métalliques.

Posé sur un fauteuil portugais en cuir armorié, un exemplaire des heures de Simon Vostre était ouvert au feuillet qui porte une figure d’astrologie, et un vieux Vitruve étalait sur un bahut ses magistrales gravures de caryatides et de téla-