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— Montrez-le-moi, dis-je, sans pouvoir dissimuler ni mon inquiétude ni mon espoir.

— Vous le montrer ! s’écria Polizzi. Et le puis-je, Excellence ? Je ne l’ai plus ! je ne l’ai plus !

Et il semblait vouloir s’arracher les cheveux. Il se les serait bien tous tirés du cuir sans que je l’en empêchasse. Mais il s’arrêta de lui-même avant de s’être fait grand mal.

— Comment ? lui dis-je en colère, comment ? Vous me faites venir de Paris à Girgenti pour me montrer un manuscrit, et, quand je viens, vous me dites que vous ne l’avez plus. C’est indigne, monsieur. Je laisse votre conduite à juger à tous les honnêtes gens.

Qui m’eût vu alors se fût fait une idée assez juste d’un mouton enragé.

— C’est indigne ! c’est indigne ! répétai-je en étendant mes bras qui tremblaient.

Alors Micael-Angelo Polizzi se laissa tomber sur une chaise dans l’attitude d’un héros mourant. Je vis ses yeux se gonfler de larmes et ses cheveux, jusque-là flambants au-dessus de sa tête, tomber en désordre sur son front.

— Je suis père, Excellence, je suis père ! s’écria-t-il en joignant les mains.