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tres encore, joyeux et tragiques, se résument en un seul : le songe de la vie ; et votre petit livre jaune me donnera-t-il la clef de celui-là ?

— Oui, monsieur, me répondit l’homonculus. Le livre est complet et pas cher : 1 franc 25 cent., monsieur.

J’appelai ma gouvernante, car il n’y a pas de sonnette en mon logis.

— Thérèse, dis-je, monsieur Coccoz, que je vous prie de reconduire, possède un livre qui peut vous intéresser : c’est la Clef des Songes. Je serai heureux de vous l’offrir.

Ma gouvernante me répondit :

— Monsieur, quand on n’a pas le temps de rêver éveillée, on n’a pas davantage le temps de rêver endormie, Dieu merci ! mes jours suffisent à ma tâche, et ma tâche suffit à mes jours, et je puis dire chaque soir : « Seigneur, bénissez le repos que je vais prendre ! » Je ne songe ni debout ni couchée, et je ne prends pas mon édredon pour un diable, comme cela arriva à ma cousine. Et si vous me permettez de donner mon avis, je dirai que nous avons assez de livres ici. Monsieur en a des mille et des mille qui lui font perdre la tête, et moi j’en ai deux qui me suffisent, mon