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quand nous vîmes descendre de la salle haute quelques personnages qui portaient des escopettes sous leurs manteaux sombres. Ils m’eurent tout l’air de bandits qualifiés et, après leur départ, je communiquai à M. Trépof l’impression que j’en avais. Il me répondit tranquillement qu’il croyait comme moi que c’étaient des bandits, et nos guides nous conseillèrent de nous faire escorter par les gendarmes ; mais madame Trépof nous supplia de n’en rien faire. Il ne fallait pas, disait-elle, lui gâter son voyage.

Elle ajouta, en tournant vers moi des yeux persuasifs :

— N’est-ce pas, monsieur Bonnard, que rien n’est bon dans la vie que les émotions ?

— Sans doute, madame, répondis-je, mais faut-il encore s’entendre sur la nature des émotions. Celles qu’inspire un noble souvenir ou un grand spectacle sont en effet le meilleur de la vie, mais celles qui résultent de l’imminence d’un péril me semblent devoir être soigneusement évitées. Trouveriez-vous bon, madame, qu’à minuit, dans la montagne, on vous appuyât sur le front le canon d’une escopette ?

— Oh ! non, me répondit-elle ; l’opéra-comique