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conspirateurs. On visita nos effets ; on ne trouva pas la boîte que j’avais bien cachée, mais on trouva mes bijoux qu’on emporta. Ils les ont encore. L’affaire fit du bruit et nous devions être arrêtés. Mais le roi se fâcha et dit qu’on nous laissât tranquilles. Jusque-là j’avais trouvé stupide de collectionner les boîtes d’allumettes ; mais quand je vis qu’il y allait de la liberté et de la vie, peut-être, j’y pris goût. Maintenant j’ai le fanatisme des boîtes d’allumettes. Nous irons l’été prochain en Suède, pour compléter notre série. N’est-ce pas, Dimitri ?

J’éprouvai (dois-je le dire ?) quelque sympathie pour ces intrépides collectionneurs. Sans doute j’eusse préféré voir M. et madame Trépof recueillir en Sicile des marbres antiques et des vases peints. J’eusse aimé les voir occupés des ruines d’Agrigente et des traditions poétiques de l’Éryx. Mais enfin, ils faisaient une collection, ils étaient de la confrérie, et pouvais-je les railler sans me railler un peu moi-même ? D’ailleurs madame Trépof avait parlé de sa collection avec un mélange d’enthousiasme et d’ironie qui m’en rendait l’idée très plaisante.

Nous nous disposions à quitter l’auberge,