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de l’antique Cérès plane encore dans ces vallées arides, et la Muse grecque qui fit retentir de ses accents divins Aréthuse et le Ménale, chante encore à mes oreilles sur la montagne dénudée et dans la source tarie. Oui, madame, quand notre globe inhabité roulera dans l’espace, comme la lune, son cadavre blême, le sol qui porte les ruines de Sélinonte gardera encore dans la mort universelle l’empreinte de la beauté, et alors, alors du moins, il n’y aura plus de bouche frivole pour blasphémer ces grandeurs solitaires.

Je sentais bien que ces paroles passaient l’entendement de la jolie petite tête vide qui m’écoutait. Mais un bonhomme qui, comme moi, consume sa vie sur des livres ne sait pas varier le ton à propos. D’ailleurs, j’étais heureux de donner à madame Trépof une leçon de respect. Elle la reçut avec tant de soumission et un tel air d’intelligence, que j’ajoutai avec autant de bonhomie qu’il me fut possible :

— Quant à savoir si le hasard qui me fait vous rencontrer est heureux ou fâcheux, je ne le puis avant d’être certain que ma présence ne vous est point importune. L’autre jour, à Naples, vous parûtes brusquement fatiguée de ma compagnie. Je