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et viré dans tous les sens par le peuple le plus gai, le plus bavard, le plus vif et le plus adroit qu’on se puisse imaginer, et voici précisément une jeune commère qui, tandis que j’admire ses magnifiques cheveux noirs, m’envoie, d’un coup de son épaule élastique et puissante, à trois pas en arrière, sans m’endommager, dans les bras d’un mangeur de macaroni qui me reçoit en souriant.

Je suis à Naples. Comment j’y arrivai avec quelques restes informes et mutilés de mes bagages, je ne puis le dire, pour la raison que je ne le sais pas moi-même. J’ai voyagé dans un effarement perpétuel et je crois bien que j’avais tantôt dans cette ville claire la mine d’un hibou au soleil. Cette nuit, c’est bien pis ! Voulant observer les mœurs populaires, j’allai dans la Strada di Porto, où je suis présentement. Autour de moi, des groupes animés se pressent devant les boutiques de victuailles, et je flotte comme une épave au gré de ces flots vivants qui, quand ils submergent, caressent encore. Car ce peuple napolitain a, dans sa vivacité, je ne sais quoi de doux et de flatteur. Je ne suis point bousculé, je suis bercé et je pense que, à force de me balancer deçà, delà, ces gens vont m’endormir debout. J’admire,