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— Allez, monsieur, me dit-elle enfin, mais revenez à six heures. Nous avons aujourd’hui, à dîner, un plat qui n’attend pas.

Naples, 10 novembre 1859.

Co tra calle vive, magne e lave a faccia.

— J’entends, mon ami ; je puis, pour trois centimes, boire, manger et me laver le visage, le tout au moyen d’une tranche de ces pastèques que tu étales sur une petite table. Mais des préjugés occidentaux m’empêcheraient de goûter avec assez de candeur cette simple volupté. Et comment sucerais-je des pastèques ? J’ai assez à faire de me tenir debout dans cette foule. Quelle nuit lumineuse et bruyante dans la Strada di Porto ! Les fruits s’élèvent en montagnes dans les boutiques éclairées de falots multicolores. Sur les fourneaux, allumés en plein vent, l’eau fume dans les chaudrons et la friture chante dans les poêles. L’odeur des poissons frits et des viandes chaudes me chatouille le nez et me fait éternuer. Je m’aperçois, en cette circonstance, que mon mouchoir a quitté la poche de ma redingote. Je suis poussé, soulevé