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mes luttes avec elle. Ces luttes sont fréquentes et j’y succombe invariablement.

Mais il fallait bien annoncer mon départ à Thérèse. Elle vint dans la bibliothèque avec une brassée de bois pour allumer un petit feu, « une flambée », disait-elle. Car les matinées sont fraîches. Je l’observais du coin de l’œil, tandis qu’elle était accroupie, la tête sous le tablier de la cheminée. Je ne sais d’où me vint alors mon courage, mais je n’hésitai pas. Je me levai, et me promenant de long en large dans la chambre :

— À propos, dis-je, d’un ton léger, avec cette crânerie particulière aux poltrons, à propos, Thérèse, je pars pour la Sicile.

Ayant parlé, j’attendis, fort inquiet. Thérèse ne répondait pas. Sa tête et son vaste bonnet restaient enfouis dans la cheminée, et rien dans sa personne, que j’observais, ne trahissait la moindre émotion. Elle fourrait du papier sous les bûches et soufflait le feu. Voilà tout.

Enfin, je revis son visage ; il était calme, si calme que je m’en irritai. — Vraiment, pensai-je, cette vieille fille n’a guère de cœur. Elle me laisse partir sans seulement dire « Ah ! » Est-ce donc si peu pour elle que l’absence de son vieux maître ?