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10 octobre 1859.

J’attendais la réponse de M. Polizzi avec une impatience que je contenais mal. Je ne tenais pas en place ; je faisais des mouvements brusques ; j’ouvrais et je fermais bruyamment mes livres. Il m’arriva un jour de culbuter du coude un tome du Moréri. Hamilcar, qui se léchait, s’arrêta soudain et, la patte par-dessus l’oreille, me regarda d’un œil fâché. Était-ce donc à cette vie tumultueuse qu’il devait s’attendre sous mon toit ? N’étions-nous pas tacitement convenus de mener une existence paisible ? J’avais rompu le pacte.

— Mon pauvre compagnon, répondis-je, je suis en proie à une passion violente, qui m’agite et me mène. Les passions sont ennemies du repos, j’en conviens ; mais, sans elles, il n’y aurait ni industries ni arts en ce monde. Chacun sommeillerait nu sur un tas de fumier, et tu ne dormiras pas tout le jour, Hamilcar, sur un coussin de soie, dans la cité des livres.

Je n’exposai pas plus avant à Hamilcar la théo-