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les oreilles et en plissant la peau zébrée de son front, qu’il était malséant de déclamer ainsi.

— Cet homme aux bouquins, songeait évidemment Hamilcar, parle pour ne rien dire, tandis que notre gouvernante ne prononce jamais que des paroles pleines de sens, pleines de choses, contenant soit l’annonce d’un repas, soit la promesse d’une fessée. On sait ce qu’elle dit. Mais ce vieillard assemble des sons qui ne signifient rien.

Ainsi pensait Hamilcar. Le laissant à ses réflexions, j’ouvris un livre que je lus avec intérêt, car c’était un catalogue de manuscrits. Je ne sais pas de lecture plus facile, plus attrayante, plus douce que celle d’un catalogue. Celui que je lisais, rédigé en 1824, par M. Thompson, bibliothécaire de sir Thomas Raleigh, pèche, il est vrai, par un excès de brièveté et ne présente point ce genre d’exactitude que les archivistes de ma génération introduisirent les premiers dans les ouvrages de diplomatique et de paléographie. Il laisse à désirer et à deviner. C’est peut-être pourquoi j’éprouve, en le lisant, un sentiment qui, dans une nature plus imaginative que la mienne, mériterait le nom de rêverie. Je m’abandonnais