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tion par ses redingotes à brandebourgs et surtout par une certaine manière de mettre toute la maison sens dessus dessous dès qu’il y entrait. Encore aujourd’hui, je ne sais trop comment il s’y prenait, mais j’affirme que, quand mon oncle Victor se trouvait dans une assemblée de vingt personnes, on ne voyait, on n’entendait que lui. Mon excellent père ne partageait pas, à ce que je crois, mon admiration pour l’oncle Victor, qui l’empoisonnait avec sa pipe, lui donnait par amitié de grands coups de poing dans le dos et l’accusait de manquer d’énergie. Ma mère, tout en gardant au capitaine une indulgence de sœur, l’invitait parfois à moins caresser les flacons d’eau-de-vie. Mais je n’entrais ni dans ces répugnances ni dans ces reproches, et l’oncle Victor m’inspirait le plus pur enthousiasme. C’est donc avec un sentiment d’orgueil que j’entrai dans le petit logis qu’il habitait rue Guénégaud. Tout le déjeuner, dressé sur un guéridon au coin du feu, consistait en charcuterie et en sucreries.

Le capitaine me gorgea de gâteaux et de vin pur. Il me parla des nombreuses injustices dont il avait été victime. Il se plaignit surtout des Bourbons, et comme il négligea de me dire qui étaient