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rait-on pas pour Jeanne ? Elle donne à la cité des livres un charme dont je goûte le souvenir quand elle est partie. Elle est parfaitement ignorante, mais si bien douée que quand je veux lui montrer une belle chose, il se trouve que je ne l’avais jamais vue et que c’est elle qui me la fait voir. Il m’a été jusqu’ici impossible de lui faire suivre mes idées, mais j’ai souvent pris plaisir à suivre le spirituel caprice des siennes.

Un homme plus sensé que moi songerait à la rendre utile. Mais n’est-il point utile dans la vie d’être aimable ? Sans être jolie, elle charme. Charmer cela sert autant, peut-être, que de ravauder des bas. D’ailleurs je ne suis pas immortel et elle ne sera sans doute pas encore très vieille quand mon notaire (qui n’est point maître Mouche) lui lira certain papier que j’ai signé tantôt.

Je n’entends pas qu’un autre que moi la pourvoie et la dote ; je ne suis pas moi-même bien riche et l’héritage paternel ne s’est pas accru dans mes mains. On n’amasse pas des écus à compulser de vieux textes. Mais mes livres, au prix où se vend aujourd’hui cette noble denrée, valent quelque chose. Il y a sur cette tablette