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pauvre petit homme avait été mis en terre, à mon insu et à l’insu de bien d’autres personnes, peu de temps après l’heureuse délivrance de madame Coccoz. J’appris que sa veuve s’était consolée ; je fis comme elle.

— Mais, Thérèse, demandai-je, madame Coccoz ne manque-t-elle de rien dans son grenier ?

— Vous seriez une grande dupe, monsieur, me répondit ma gouvernante, si vous preniez souci de cette créature. On lui a donné congé du grenier dont le toit est réparé. Mais elle y reste malgré le propriétaire, le gérant, le concierge et l’huissier. Je crois qu’elle les a ensorcelés tous. Elle sortira de son grenier, monsieur, quand il lui plaira, mais elle en sortira en carrosse. C’est moi qui vous le dis.

Thérèse réfléchit un moment ; puis elle prononça cette sentence :

« Une jolie figure est une malédiction du ciel ! »

— Je dois rendre grâce au ciel, qui m’a épargné cette malédiction. Mais prenez ma canne et mon chapeau. Je vais lire, pour me récréer, quelques pages du Moréri. Si j’en crois mon flair de vieux renard, nous aurons à dîner une pou-