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feuillets arrachés couvrent les pots de cornichons de quelque ménagère.

30 août 1850.

Une lourde chaleur ralentissait mes pas. Je rasais les murs des quais du nord, et, dans l’ombre tiède, les boutiques de vieux livres, d’estampes et de meubles anciens amusaient mes yeux et parlaient à mon esprit. Bouquinant et flânant, je goûtais au passage quelques vers fièrement tortillés par un poète de la pléiade, je lorgnais une élégante mascarade de Watteau, je tâtais de l’œil une épée à deux mains, un gorgerin d’acier, un morion. Quel casque épais et quelle lourde cuirasse, seigneur ! Vêtement de géant ? Non ; carapace d’insecte. Les hommes d’alors étaient cuirassés comme des hannetons ; leur faiblesse était en dedans. Tout au contraire, notre force est intérieure, et notre âme armée habite un corps débile.

Voici le pastel d’une dame du vieux temps ; la figure, effacée comme une ombre, sourit ; et l’on voit une main gantée de mitaines à jour retenir sur ses genoux de satin un bichon enrubanné.