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mura : « Ils l’ont fusillé ! » Je ne savais ce qu’il voulait dire et j’éprouvais une terreur obscure. J’ai su depuis qu’il parlait du maréchal Ney, tombé, le 7 décembre 1815, sous le mur qui fermait un terrain vague attenant à notre maison.

Environ vers ce temps, je rencontrais souvent dans l’escalier un vieillard (ce n’était peut-être pas tout à fait un vieillard), dont les petits yeux noirs brillaient avec une extraordinaire vivacité sur un visage basané et immobile. Il ne me semblait pas vivant, ou du moins, il ne me semblait pas vivre de la même façon que les autres hommes. J’avais vu, chez M. Denon, où mon père m’avait mené, une momie rapportée d’Égypte ; et je me figurais de bonne foi que la momie de M. Denon se réveillait quand elle était seule, sortait de son coffre doré, mettait un habit noisette et une perruque poudrée, et que c’était alors M. de Lessay. Et aujourd’hui même, chère madame, tout en repoussant cette opinion, comme dénuée de fondement, je dois confesser que M. de Lessay ressemblait beaucoup à la momie de M. Denon. C’est assez pour expliquer que ce personnage m’inspirait une terreur fantastique.

En réalité, M. de Lessay était un petit gen-