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Mon père ne se releva jamais de cette disgrâce, et l’inutilité de tous ses efforts pour bien faire fut certainement la cause de l’apathie dans laquelle il tomba plus tard. Pourtant Napoléon, de retour de l’île d’Elbe, le fit appeler et le chargea de rédiger, dans un esprit patriotique et libéral, des proclamations et des bulletins à la flotte. Après Waterloo, mon père, plus attristé que surpris, resta à l’écart et ne fut point inquiété. Seulement on s’accorda à dire que c’était un jacobin, un buveur de sang, un de ces hommes qu’on ne peut pas voir. Le frère aîné de ma mère, Victor Maldent, capitaine d’infanterie, mis à la demi-solde en 1814 et licencié en 1815, aggravait par sa mauvaise attitude les difficultés que la chute de l’empire avait causées à mon père. Le capitaine Victor criait dans les cafés et dans les bals publics que les Bourbons avaient vendu la France aux Cosaques. Il découvrait à tout venant une cocarde tricolore cachée dans la coiffe de son chapeau ; il portait avec ostentation une canne dont le pommeau travaillé au tour avait pour ombre la silhouette de l’empereur.

Si vous n’avez pas vu, madame, certaines li-