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Puis, étendant le bras vers moi, elle ajouta :

— Vous êtes notre ami, je puis tout vous dire. Le père de cette enfant était un banquier de nos amis. Il montait des affaires colossales, c’est ce qui l’a perdu. Il n’a survécu que peu de mois à sa faillite, dans laquelle (Paul a dû vous le dire), la fortune de mon oncle a sombré aux trois quarts et la nôtre plus qu’à moitié.

Nous l’avions connu à Monaco pendant l’hiver que nous passâmes auprès de mon oncle. Il avait l’esprit aventureux, mais si séduisant ! Il se trompait lui-même avant de tromper les autres. C’est encore là, n’est-il pas vrai, la plus grande habileté ? Nous y fûmes pris, mon oncle, mon mari et moi, et nous risquâmes dans une affaire périlleuse plus qu’il n’était raisonnable. Mais bah ! comme dit Paul, puisque nous n’avons pas d’enfants !… D’ailleurs nous avons la satisfaction de savoir que l’ami auquel nous nous sommes confiés était un honnête homme… Vous devez connaître son nom qu’on a tant vu dans les journaux et sur les affiches : Noël Alexandre. Sa femme était fort aimable. Je ne l’ai connue que déjà passée, avec de jolis restes et un goût de faste et de représentation qui lui allaient bien. Elle aimait un peu le ta-