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LA VIE LITTÉRAIRE

mille faits à l’appui de ma première thèse ; ils ont fait volte-face à mon commandement et chargent maintenant en sens opposé. Quel exemple d’obéissance passive ! » M. Taine n’a pas dans l’esprit l’ardente mobilité avec laquelle l’auteur d’Adolphe dévorait ses propres idées. Il ne retournera pas demain contre son système les faits qui le défendent aujourd’hui. Mais ce qu’il ne fera pas, un autre pourra le faire. D’ailleurs, il a laissé dans le magasin de l’histoire plus de faits encore qu’il n’en a pris. On opposerait aisément à chaque fait qu’il allègue un fait contraire.

J’ai bien envie d’en faire l’expérience sur quelques pages d’un de ses articles, du second, qui est justement le mieux nourri. Mal préparé, pressé par l’heure, renfermé dans mon cabinet de travail avec assez peu de livres, je me fais fort d’opposer aux principaux témoignages qu’il invoque des témoignages contradictoires. Ce ne sera qu’un jeu, bien entendu, mais un jeu sincère. Je ne tricherai pas. Je puiserai aux bonnes sources et je donnerai mes références. M. Robert de Bonnières a reproché à M. Taine dans le Figaro, d’avoir pris ses documents de toutes mains et d’avoir suivi, par exemple, les Mémoires de Bourrienne, qui sont apocryphes à partir de la neuvième feuille du tome premier. Un écrivain que pratique M. Taine, Stendhal, avait les mêmes défiances à l’endroit de Bourrienne. Je ne citerai pas ce témoin. D’ailleurs, il ne faut pas m’en faire un mérite, car je suis réduit aux livres qui sont dans ma bibliothèque, et Bourrienne n’y est pas.

C’est dit, j’ouvre la Revue des Deux Mondes à la page 7 et je prends ce jugement de M. Taine sur Napoléon : « Nul homme plus irritable et si vite cabré. » L’historien cite à l’appui Varnhagen