Page:Anatole France - La Vie littéraire, V.djvu/330

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
318
LA VIE LITTÉRAIRE

J’ai parié de cette amante mondaine et tragique, Françoise de Trémeur, et de son ami qui méritait de ne pas faire la vilaine action à laquelle il ne survit point. N’est-il pas vrai que certaines de nos actions, nous ne les méritons pas ?

Il me faudrait encore vous faire connaître une dizaine de caractères que M. Paul Hervieu a tracés avec une science profonde des âmes et un art si subtil que j’en suis surpris et ravi comme d’un mystère. Je devrais indiquer madame Vanault de Floche, si convenable dans ses faiblesses méditées et « dans le cœur de laquelle on n’entre qu’à quatre chevaux » ; et, «grave à force de vanité », Anna de Courlandon, égoïste et curieuse ; la marquise douairière de Nécringel, à qui la vie enseigna l’indulgence ; Guy Marfaux, peintre mondain ; Cyprien Marfaux, homme de lettres, très bohème, qui éprouve qu’à l’Abbaye de Thélème et au Moulin-Rouge l’humanité n’est ni meilleure, ni pire que dans les châteaux de Touraine ; le prince Silvère de Caréan, qui trafique élégamment de sa beauté et de son nom.

Les figures sont parlantes. Les scènes frappantes. M. Paul Hervieu apporte dans ces études de ce qu’on appelle le monde une discrétion, une liberté, une indépendance bien louables.

Il n’y a pas chez lui la plus légère ombre de snobisme. Et comment serait-il troublé par les aspects chatoyants de la belle société ? C’est l’humanité qu’il voit, qu’il s’attache à suivre, sous ces travestissements délicats de la mode et du goût. Il est gracieux, piquant, il est mélancolique aussi. Il est philosophe enfin. Sa philosophie est sombre. Instruit par ce sage élégant, nous estimerons que le monde