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HIPPOLYTE TAINE

naissance et comme tous les autres phénomènes de la vie. »

Il mourut comme il avait vécu, en philosophe. Car, sous toutes les formes de son activité intellectuelle, esthète, critique, historien, il fut toujours un philosophe. M. Paul Bourget l’a bien fait voir dans un admirable chapitre de ses Essais de psychologie. C’était un philosophe très amoureux des systèmes et attentif à s’enfermer dans des formules exactes.

Il était déterministe. Il l’était nettement et avec une abondance de preuves, une richesse d’illustrations qui fit sur la jeunesse intelligente, à la fin du second Empire, une impression beaucoup plus forte qu’on ne s’imagine aujourd’hui. M. de Bonnières, dans un aperçu très lucide, jeté le lendemain même de la mort de Taine, a signalé l’action exercée par le maître sur quelques-uns de mes contemporains. Et il est vrai que la pensée de ce puissant esprit nous inspira, vers 1870, un ardent enthousiasme, une sorte de religion, que j’appellerai le culte dynamique de la vie. Ce qu’il nous apportait, c’était la méthode et l’observation, c’était le fait et l’idée, c’était la philosophie et l’histoire, c’était la science, enfin.

Et ce dont il nous débarrassait, c’était l’odieux spiritualisme d’école, c’était l’abominable Victor Cousin et son abominable école, c’était l’ange universitaire montrant d’un geste académique le ciel de Platon et de Jésus-Christ. Il nous délivra du philosophisme hypocrite. Certes, il faut que ce bienfait ait été considérable et sûr, car j’entendis récemment un des plus généreux esprits de la jeune génération, M. Charles Maurras, louer avant tout Taine d’avoir « fait taire les vains perroquets de l’éclectisme ».