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LA VIE LITTÉRAIRE

Et tout « amant de la forme et des dieux » sera sans doute ému quand il lira ces plaintes augustes et sereines :

EN CAMPANIE
Le temple est renversé sur le haut promontoire ;
Et la mort a mêlé, dans ce fauve terrain,
Les Déesses de marbre et les Tritons d’airain
Dont l’herbe solitaire ensevelit la gloire.

Seul, parfois, un berger menant ses buffles boire,
De sa conque où soupire un antique refrain
Emplissant le ciel calme et l’horizon marin,
Sur l’azur infini dresse sa forme noire.

La Terre maternelle et douce aux anciens Dieux,
Fait à chaque printemps, vainement éloquente,
Au chapiteau brisé verdir une autre acanthe ;

Mais l’homme, indifférent au rêve des aïeux,
Écoute sans frémir, pendant les nuits sereines,
La mer qui se lamente en pleurant les Sirènes.

Je rapporterai à ce même sentiment de deuil philosophique et calme cet autre sonnet, Médaille antique, que je ne puis me défendre de citer ici :

MÉDAILLE ANTIQUE
L’Etna mûrit toujours la pourpre et l’or du vin
Dont l’Erigone antique enivra Théocrite ;
Mais celles dont la grâce en ses vers fut écrite,
Le poète aujourd’hui les chercherait en vain.

Perdant la pureté de son profil divin,
Tour à tour Aréthuse esclave et favorite
A mêlé dans sa veine où le sang grec s’irrite
La fureur sarrasine à l’orgueil angevin.

Tout se transforme ou meurt. Le marbre même s’use.
Agrigente n’est plus qu’une ombre, et Syracuse
Dort sous le bleu linceul de son ciel indulgent ;

Et seul le dur métal que l’amour fit docile
Garde encor, dans l’éclat des médailles d’argent,
L’immortelle beauté des vierges de Sicile.