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LA VIE LITTÉRAIRE

et ils touchaient d’une main filiale aux monuments des aïeux. Ils aimaient les restes des vieux âges, même quand ils ne les comprenaient pas très bien. Ils goûtèrent en même temps les amours de Ronsard et les nymphes de Jean Goujon. Le sonnet fut restauré par eux, non point par Lamartine, tout classique encore, et qui ne fit qu’élever en jets magnifiques les eaux dormantes de la poésie du dix-huitième siècle, non point par Victor Hugo, trop lyrique et trop abondant pour enfermer son idée en quatorze vers. Mais par les fervents disciples, par Théophile Gautier, par les frères Deschamps, par Sainte-Beuve, par Auguste Barbier. Sainte-Beuve fut entre tous le vrai restaurateur du sonnet. Il mit à le rétablir tout le soin de son esprit ingénieux et de son art subtil. Et il faut que cette forme de poésie ait dans sa fixité même une merveilleuse souplesse ; il faut que cet arrangement prosodique dont l’origine est inconnue et la raison imperceptible offre vraiment quelque chose d’heureux, puisque des poètes divers de ton, d’inspiration et de génie y plièrent à l’envi leur pensée et firent sortir de ce moule des merveilles variées de grâce ou d’énergie.

Parmi les maîtres et les compagnons du Parnasse, Théodore de Banville, Leconte de Lisle, Charles Baudelaire, Louis Ménard, Catulle Mendès, Armand Silvestre, Sully Prudhomme, François Coppée, Frédéric Plessis, ont fait du sonnet l’usage le meilleur et le plus original. En se l’appropriant, les modernes l’ont tout à fait transformé. Ils lui ont enlevé son air galant et symétrique, sa pointe. Ils en ont fait une élégie, une ode, un petit poème philosophique, le plus souvent un tableau.

Ce sont des tableaux que les sonnets de M. José--