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JOSÉ-MARIA DE HEREDIA

échappé, ils sauront désormais où trouver les rimes d’or qu’on vantait depuis plus d’un quart de siècle dans les cénacles. Déjà, vers 1868, aux âges anciens du premier Parnasse, M. José-Maria de Heredia, tout jeune encore, était tenu pour un excellent artiste en vers. C’était le temps où Théophile Gautier lui disait, d’un air magnifique et tranquille : « Heredia, je t’aime, parce que tu portes un nom exotique et sonore et parce que tu fais des vers qui se recourbent comme des lambrequins héraldiques. »

Les voilà enfin réunis et publiés, ces vers éclatants, et ils n’ont rien perdu de leur charme à paraître assemblés par l’imprimeur. Les Trophées comprennent trois épisodes en tierces-rimes de la légende du Cid, et un grand morceau épique sur les conquérants de l’or. Ce sont des ouvrages admirables par la richesse et le fini du travail, par l’ampleur du style décoratif et par un sentiment de l’exactitude qui s’unit toujours chez ce poète au goût de la magnificence. Mais c’est dans le sonnet que M. José-Maria de Heredia est tout à fait excellent. C’est là qu’il est maître et qu’il exerce sa puissance. Seul de tous les poèmes à forme fixe, le sonnet semble encore vivant et propre à recevoir parfois, dans sa forme ancienne, des « pensers nouveaux ». Amoureux avec Dante, Pétrarque et Shakespeare, il est devenu philosophique avec M. Sully Prudhomme, héroïque et descriptif avec M. José-Maria de Heredia. Il nous vint de Florence, tout parfumé de la plus fine fleur de courtoisie qui ait jamais fleuri au monde. Si on le put croire d’origine française c’est faute d’avoir entendu le mot de sonnet au sens où l’emploient Thibault de Champagne et Guillaume de Lorris. Les vieux trouvères appelaient de ce nom toute espèce de