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RÉMY DE GOURMONT

de victimes jouant sur l’autel avec la couronne et la palme du martyre ?

Aram sub ipsam simplices
Palma et coronis luditis
.

Enfin, il faudrait voir les manuscrits. Mais si le Salvete n’est pas sûrement de Prudence, le Vexilla appartient sans nul doute à Fortunat, qui mangeait des confitures avec l’abbesse Agnès de Radegonde, à Poitiers. J’avoue goûter médiocrement le classicisme barbare et la lourde subtilité de ce morceau. Mais Fortunat nous a peint son temps dans ses vers, et c’est ce qui donne un vif intérêt à sa mauvaise poésie. Au reste, gourmand, poltron et diseur de bons mots, il fait une singulière figure parmi les poètes mystiques de M. de Gourmont. En réalité, le latin d’église ne commence qu’avec les hymnes, les antiennes du dixième siècle et du onzième, avec ces vieilles séquences, ou proses, qui expriment dans un langage nouveau l’âme nouvelle de l’humanité. Ce sont des œuvres d’une magnifique beauté, et si l’on attache au mot classique l’idée de pureté et de perfection, on peut dire que le Victimae paschali laudes est aussi classique qu’un chœur de Sophocle ou qu’un poème de Catulle.

Je veux donner ici cette prose sublime, d’après la traduction intelligente, heureuse, mais peut-être un peu trop caressée et caressante de M. Remy de Gourmont :

Qu’à la victime pascale les Chrétiens immolent un troupeau de louanges. — L’agneau a racheté les brebis, le Christ innocent a réconcilié les pécheurs avec son père. — La mort et la vie se sont rencontrées en un surprenant duel : le prince de la vie est mort et il règne éternellement vivant. — Dis-nous, Marie, qu’as-tu vu