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LA FÊTE DE L’ÊTRE SUPRÊME

« Il y a une profession de foi dont il appartient au souverain de fixer les articles, non pas précisément comme dogmes de religion, mais comme sentiments de sociabilité, sans lesquels il est impossible d’être bon citoyen ni sujet fidèle. »

Et Jean-Jacques enferme expressément dans cette profession de foi civique l’existence d’une divinité bienfaisante, la vie à venir, le bonheur des justes, le châtiment des méchants, la sainteté du contrat social et des lois. Ce sont ces théories que Robespierre était jaloux d’appliquer quand il présenta et soutint devant la Convention le décret du 18 floréal an II :

Article 1er. Le peuple français reconnaît l’existence de l’Être suprême et l’immortalité de l’âme.


Art. 2. Il reconnaît que le culte digne de l’Être suprême est la pratique des devoirs de l’homme.
 

Art. 4. Il sera institué des fêtes pour rappeler l’homme à la pensée de la Divinité et à la dignité de son être.

Une question plus complexe et plus difficile, mais aussi plus intéressante est celle de savoir si, dans la pensée de Robespierre, le culte de l’Être suprême n’était pas un moyen de rallier les catholiques qui causaient quelque embarras à la Convention, à en juger par les incertitudes de la politique que cette grande assemblée suivait à leur égard. Les guerres religieuses ont divers inconvénients, dont le plus fâcheux est qu’elles sont interminables. En 1794, la bourgeoisie était entièrement affranchie de toute foi religieuse. Il n’en était pas de même du peuple des faubourgs et des campagnes qui demeurait attaché au vieux culte. Dans beaucoup de villes et de villages, il y avait d’excellents patriotes qui croyaient en Dieu et surtout au diable, et qui,