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CATHERINE THÉOT

Car le dossier de la duchesse de Bourbon se rapportait précisément aux relations de cette aristocrate avec Catherine Théot. Avec un instinct particulier aux hommes d’intrigue, ils entrevirent là le moyen de perdre dans l’opinion l’homme qu’ils redoutaient. Ils firent surveiller la Mère de Dieu et quelques-uns de leurs agents poussèrent même la curiosité jusqu’à se faire initier aux mystères et à donner à la prophétesse les cinq baisers de paix.

Poussèrent-ils plus loin l’artifice et engagèrent-ils la Mère de Dieu à correspondre avec le protecteur de l’Être suprême ? On l’a cru. Quoi qu’il en soit, quand le Comité donna l’ordre d’arrêter la Mère avec toute son église et dom Gerle, on trouva dans la paillasse de Catherine Théot le brouillon d’une lettre où Robespierre était appelé :

« Le fils de l’Être suprême, le verbe de l’Éternel, le rédempteur du genre humain, le messie désigné par les prophètes. »

L’intrigue avait été bien menée. L’Incorruptible était compromis dans l’affaire d’une mystique contre-révolutionnaire. Le procès était à la veille d’être jugé.

Vilate en parla à Robespierre :

— Le tribunal révolutionnaire, lui dit-il, s’égayera demain à l’affaire de la Mère de Dieu.

Surpris, il répondit :

— Comment ? Êtes-vous sûr ?

Et il ajouta avec colère :

— Des conspirations chimériques pour en cacher de réelles.

Le tribunal était dans sa main. Il put arrêter l’affaire et Catherine Théot mourut en prison. Mais