Page:Anatole France - La Vie littéraire, V.djvu/186

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
174
LA VIE LITTÉRAIRE

Ces illustres fréquentations, dont il était fier, ne l’empêchaient point de mourir de faim. Comme il était au plus bas, un directeur de journal lui dit avec une superbe ingénuité :

« Il n’y a rien à faire pour le moment : laissez-vous exploiter par moi. »

Il ne fut tiré d’affaire et mis en valeur qu’en octobre 1848, quand Émile de Girardin le chargea de faire la préface des Mémoires d’outre-tombe, qui paraissaient en feuilleton dans la Presse. Trois ans plus tard, dans l’hiver de 1851, il était un assez grand personnage pour que deux libraires, Giraud et Dagneau, qui voulaient fonder une revue, eussent l’idée de lui en confier la direction. Il réunit tout de suite une douzaine de rédacteurs très distingués. On se rassembla pour trouver un titre. S’il en faut croire Monselet lui-même, qui semble avoir tourné l’anecdote en symbole, Baudelaire proposa le Hibou philosophe ; Gérard de Nerval, le Coq d’or ; Champfleury, la Gazette de faïence ; Théodore de Banville, le Thyrse ; Charles Asselineau, le Romantique. Les deux libraires, inquiets et même un peu effrayés, n’écoutèrent pas Monselet, qui voulait plus simplement : les Propos littéraires. Ils choisirent un titre de leur invention : la Semaine littéraire. La Semaine littéraire vécut obscurément et peu.

Je voulais seulement retracer les débuts de Monselet, à l’aide des documents nouveaux apportés par son fils. Ce petit cadre est maintenant rempli. Il y aurait trop à dire sur cet homme de lettres qui eut de l’esprit pendant un demi-siècle. Il faudrait conter comment, rédacteur de l’Assemblée nationale, en 1853, il fut arrêté et conduit à la Conciergerie, où il resta cinq jours et fut traité comme un homme