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LITTÉRATURE SOCIALISTE

chansons, sa manière est sombre et violente. Voici le premier couplet des Traîne-misère :

Les gens qui traînent la misère
Sont doux, comme de vrais agneaux,
Ils sont parqués sur cette terre
Et menés comme des troupeaux,
Et tout ça chante et tout ça danse
Pour se donner de l’espérance.

Les poètes ouvriers des anciens jours, notamment Hégésippe Moreau, étaient déjà dans ce ton ; il est possible que la chanson des Traîne-misère vaille ce Monsieur Paillard, qui fut en son temps si chanté dans les ateliers. On ne peut pas bien juger d’une chanson qu’on lit paisiblement à sa table de travail.

En somme, la littérature du prolétariat actuel n’est, ce me semble, ni bien originale ni très abondante. Mais il ne faut rien dédaigner, et de plus habiles que moi y trouveront peut-être des mérites que je n’ai pas su découvrir.

En attendant, un ouvrage nouveau, la Conversion d’André Savenay, vient cette semaine d’enrichir la littérature socialiste. L’auteur, disons-le tout de suite, n’est point un prolétaire. C’est un humaniste habile et un écrivain de grand mérite, connu par des études littéraires et philosophiques, c’est un excellent biographe de Voltaire, enfin, c’est M. Georges Renard. Tout le monde peut apprécier la clarté pénétrante de son intelligence et la vivacité de son esprit. Mais ceux-là seuls qui le connaissent savent qu’il n’est pas de cœur plus droit, plus fier, plus sûr que le sien. Pourtant son roman socialiste ne me plaît qu’à demi. C’est un roman de penseur.