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LA VIE LITTÉRAIRE

beaux de nous-même. Il faut regarder Sirius et se dire : Que restera-t-il de tout cela dans cent ans, dans quarante ans, dans vingt ans, dans… ? D’ailleurs, que sais-je et que savent les autres ? Ceux qui croient posséder la vérité sont bien heureux. Comment leur félicité ne leur donne-t-elle point plus d’indulgence ? Pourquoi s’irritent-ils contre ceux qu’ils devraient plaindre ?

Au fond, ils sont troublés, l’orgueil les agite ; c’est une passion malheureuse, parce que tout au monde la contrarie. Ils sentent leurs limites et le peu de place qu’ils tiennent dans l’univers. Ils s’aigrissent, ils deviennent violents, injurieux. M. Jules Huret l’a bien vu ; mais ce n’était pas à lui de le dire.

Il se trouve d’excellentes choses dans les consultations qu’il a publiées, et il a recueilli çà et là des réponses intelligentes et sages. Il est remarquable que ce sont les esprits les plus réfléchis et les mieux informés qui y montrent le plus de bienveillance. Il faut relire à cet égard les dépositions de M. J.-H. Rosny et de M. Henry Céard. Elles sont fort belles, on y sent le désir et la faculté de beaucoup comprendre. J’aime, pour ma part, ce que dit M. Henry Céard des jeunes poètes qui cherchent un rythme et des formes nouvelles :

« Quand ils se tromperaient, où serait le mal ? Et ne faut-il pas se souvenir que c’est des tâtonnements des alchimistes impuissants et acharnés à fabriquer de l’or qu’est sortie la chimie moderne, et qu’aucun effort n’est jamais inutile ni méprisable ?  »

Cela est d’un bon esprit. J’admire beaucoup aussi ces paroles de M. Catulle Mendès : « Oh ! voyez-vous, il ne faut jamais rire d’un jeune, la jeunesse.