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L’ARGENT

ma correspondance de Marseille, qui ne me sont de rien, que je rejette et qui ne sont que pour faire mousser mes livres. J’ai d’abord posé un clou, et d’un coup de marteau, je l’ai fait entrer d’un centimètre dans la cervelle du public, puis, d’un second coup, je l’ai fait entrer de deux centimètres… Eh bien, mon marteau, c’est le journalisme que je fais moi-même autour de mes œuvres. »

Si je relève un tel aveu, ce n’est pas pour en faire un grief à M. Zola. C’est pour montrer au contraire, à son avantage, que le maître de Médan n’est pas du tout le sectaire de lettres qu’on croit et qu’en réalité il n’est pas incapable d’ironie. Tandis que nous combattions gravement ses doctrines et que nous opposions des idées aux siennes, il se moquait de nous. C’est un grand avantage qu’il prenait là et qu’il faut désormais lui reconnaître.

Et il avait bien raison de se moquer de nous. Car, enfin, nous devions savoir aussi bien que lui qu’il n’est pas d’art naturaliste, qu’il n’en fut et n’en sera jamais, et que les termes d’art et de nature sont contradictoires. Ce terrible homme m’a beaucoup fâché, pour ma part, et de diverses façons. Je n’avais pu souffrir les effroyables impuretés de la Terre[1] ; et puis le mysticisme éperdu du Rêve m’avait ensuite tant irrité[2] qu’en voyant tout à coup l’homme de Médan si chaste et d’une telle blancheur, j’étais tenté de lui dire, comme Sganarelle à son maître : « Monsieur, je vous aimais mieux tel que vous étiez avant. » Je regrette un peu mes colères. D’abord, il ne faut jamais se fâcher. Et puis, je n’avais pas assez considéré combien M. Zola est apocalyptique.

  1. Cf. La Vie littéraire, 1re série.
  2. Cf. La Vie littéraire, 2e série.