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CÉSAR BORGIA.

menait en campagne. On ne sait pas même le nom de la mère des deux bâtards qu’il laissa après lui. En somme, il ne donna jamais une pensée à une femme. Mais cet homme fort perdit, près d’une femme, en un jour, sa santé et sa beauté. À vingt-cinq ans son visage se couvrit subitement de pustules et de taches ardentes, qu’il garda jusqu’à sa mort. Ses yeux caves semblaient venimeux. Il fut horrible dès lors.

On sait comment la mort d’Alexandre VI ruina la fortune de César et comment, trahi par Gonzalve de Cordoue, le duc des Romagnes dut renoncer à tous droits sur les États qu’il avait conquis. On sait que, deux ans, prisonnier de Ferdinand le Catholique, César réussit à s’évader du château de Medina del Campo et, s’étant mis au service du roi de Navarre, son beau-frère, se fit tuer en furieux à Viana. Dans sa vie si courte, il étonna moins encore par la froideur de sa scélératesse que par l’éclat de son intelligence. C’était un capitaine excellent et un politique habile. Machiavel admirait l’homme qui allait toujours à la vérité effective de choses,

« Ce seigneur, a-t-il dit du duc des Romagnes, est splendide et magnifique et, dans la carrière des armes, telle est son audace, que les plus hautes entreprises lui semblent peu de chose ; dès qu’il s’agit d’acquérir de la gloire et d’agrandir ses États, il ne connaît ni repos, ni fatigue, ni danger. À peine arrive-t-il en quelque lieu, on apprend son départ. Il sait se faire bien venir du soldat. Il sut rassembler les meilleures troupes de l’Italie ; et toutes ces circonstances, jointes à une for-